Appel à contributions
Les phénomènes de mobilité et de déplacement s’affirment comme des caractéristiques majeures de nos sociétés contemporaines. Pour autant, loin d’être fluides, homogènes ou linéaires, ces déplacements sont ponctués de temps, plus ou moins longs, d’attente. Qu’ils aient pour origine des raisons techniques, administratives ou politiques, de tels moments trouvent bien souvent une traduction spatiale : des territoires accueillent ces sociétés en attente.
Ce colloque, qui vient clore le projet ANR TERRIAT (« sociétés, mobilités, déplacements : les territoires de l’attente », 2011-2014), souhaite examiner ces territoires de l’attente et la multiplicité de formes qu’ils revêtent, en établir leurs dimensions, comprendre leurs statuts juridiques, leurs articulations avec l’espace environnant, leurs temporalités spécifiques, ainsi que la variété des jeux économiques et sociaux qui s’y déploient.
Pour une telle enquête, les mondes américains, nés du déplacement (volontaire ou forcé) de populations d’origines diverses qui ont marqué de leur empreinte les territoires qu’elles se sont appropriées, s’offrent comme un terrain d’étude particulièrement adapté. Longtemps terre de refuge pour les persécutés de toutes confessions, puis Eldorado rêvé pour des millions d’immigrants, le continent américain est aujourd’hui encore le théâtre de nombreux déplacements humains : migrants quittant (ou fuyant) les campagnes pour des villes tentaculaires, clandestins franchissant les murs de la peur, réfugiés climatiques s’entassant dans des camps de la sécheresse ou des installations précaires (comme après Katrina). Ces déplacements, quelque soit leur origine, ont engendré des temps d’attente, donnant également naissance à des lieux spécifiques ou à des territoires inattendus (hôtelleries d’immigrants, pont du navire, ports d’arrivée du Nouveau Monde, camps de sans terre ou de la sécheresse, favelas…). Aujourd’hui, à l’image de nombreuses régions du monde, le continent américain connaît de nouveaux phénomènes de mobilité et de déplacement, qui engendrent d’autres territoires de l’attente, dont il convient aussi de prendre la mesure et de définir les spécificités. Près des frontières, où des dispositifs empêchent la traversée des clandestins (murs, barbelés, zones d’attente dans les aéroports), dans les immenses métropoles nées des nouvelles et gigantesques vagues de migrations urbaines, imposant de nouvelles formes spatiales de l’attente, comme les autoroutes urbaines embouteillées, où une véritable économie de l’attente prend forme (des vendeurs à la sauvette proposent boissons et aliments aux conducteurs embouteillés)…
Les études inspirées des Mobilities turn n’ont souvent pas suffisamment pris en compte le fait que l’attente puisse être « un état de la mobilité ». En nous appuyant sur la démarche de l’« exceptionnel normal », expérimentée par la micro-histoire, à savoir que l’exception nous renseigne sur la norme, l’ambition affirmée est que l’analyse de l’attente nous informe sur le mouvement. Mais notre propos serait incomplet si en filigrane de cette question d’une attente au sein de la mobilité, ne surgissait pas également une mise en perspective de ce phénomène avec son « territoire ». En effet, le choix de ce terme apparaît pleinement justifié, bien qu’il faille également définir en quoi il y a territoire et qu’est-ce qu’un « territoire de l’attente ». S’il est assez aisé d’identifier des « lieux d’attente », à savoir des dispositifs architecturaux conçus pour la mise en attente temporaire des personnes en déplacement (camps de réfugiés ou de migrants, centres de rétention, lazarets…), la mise en évidence de « territoires de l’attente » est plus complexe, puisqu’il s’agit de lire la façon dont un espace se transforme et se façonne, temporairement, pour accueillir ou réguler une situation d’attente, alors que cette dernière n’avait été que peu ou pas appréhendée par les acteurs eux-mêmes. C’est au regard de cette ubiquité que le terme « territoire » prend tout son sens. L’attente devient ainsi un prisme permettant de questionner et d’éprouver le territoire, et inversement.
Ce colloque international vise à poursuivre le travail mené depuis maintenant près de quatre ans dans le cadre du projet ANR Terriat (http://terriat.hypotheses.org/), et se veut plus particulièrement l’occasion d’élargir les réflexions menées par les chercheurs du projet, en accueillant des enseignants-chercheurs, docteurs et doctorants intéressés par ces problématiques et aptes à apporter des éclairages et des réflexions nouvelles autour des thèmes suivants :
Entre l’attente constatée par le chercheur et l’attente vécue par les acteurs, comment alors interroger l’attente ou les attentes ? Comment la singularité de la composition spatio-temporelle de l'attente est-elle éprouvée par les acteurs ? Nomment-ils ces moments ? Et si oui, comment ? En revanche, s'ils ne les nomment pas, peut-on observer un comportement social et spatial différent de l’ordinaire ? L’enjeu est donc de comprendre le passage d'un niveau à l'autre, de l’attente constatée aux attentes vécues (et parfois non nécessairement perçues comme telles), et d’interroger leurs interactions avec l’espace pour donner forme aux territoires de l’attente.
Il s’agira ici de s’interroger sur l’ordinaire des jours ou des heures dans un territoire de l’attente : quelles activités sociales ou économiques naissent dans ces lieux confinés où est éprouvée l’expérience d’un « temps élastique » ? Entre la prostitution et la vente ambulante, il importera de décrire et comprendre les formes spatiales de la « débrouillardise » (getting by). Il s’agira aussi de prendre la mesure du désœuvrement social. Comment vit-on et gère-t-on administrativement ce désœuvrement ? Quels sont les dispositifs techniques et les règlements qui permettent ou encadrent l’attente sur ces territoires ?
Un pan important du questionnement concernera l’étude des transformations sociales et culturelles à l’œuvre dans ces territoires de l’attente. Même si un sentiment d’incertitude domine, des identités nouvelles peuvent pourtant prendre forme dans ces territoires, ce qui remet en question une comparaison trop rapidement évoquée avec des « non-lieux ». Ces identités n’effacent pas nécessairement les identités antérieures, mais sont au contraire une ressource supplémentaire dans laquelle viennent puiser les individus en fonction de leurs besoins, et des stratégies sociales qu’ils définissent pour faire face à ce temps incertain. Il s’agira donc de décrire la variété des identités qui naissent dans le partage de l’attente en un lieu confiné, par des individus qui ne se connaissent pas nécessairement, mais qui sont soudain liés par une communauté de destin.
Ces territoires de l’attente induisant souvent une reformulation d’un rapport individuel et social au temps, ainsi que de nouvelles définitions identitaires, se pose la question du sens à attribuer à la mémoire (individuelle et sociale) des lieux et territoires de l’attente ? Comment ces mémoires sont-elles intégrées dans les projets de muséalisation – comme, par exemple, pour les hôtelleries d’immigrants ? Comment, à l’inverse, la muséalisation ou la patrimonialisation de l’attente sert-elle à la constructions d’identités personnelles et collectives ?
Les propositions de communication (2 pages maximum) seront à adresser avant le 15 mai 2014. Elles peuvent être rédigées en français, anglais, espagnol ou portugais. Les auteurs doivent également joindre (sur le même fichier) un curriculum vitae, avec une courte présentation de leurs recherches, ne dépassant pas lui non plus une page.
Le conseil scientifique se réunira début juin pour les examiner (réponses transmises pour le 15 juin 2014).
Les auteurs des communications retenues seront invités à faire parvenir le texte sur lequel reposera leur intervention pour le 30 octobre 2014.
Les propositions doivent être envoyées aux adresses mails suivantes :