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Vers une justice sociale, raciale et environnementale dans les Amériques


L’Autre n’existe pas. Il n’existe que des versions de nous-même, auxquelles nous n’avons pas adhéré pour beaucoup et dont nous voulons nous protéger pour la plupart. En effet, l’Autre ne vient pas d’ailleurs, il est aléatoire […] et c’est la nature aléatoire de notre rencontre […] qui suscite une légère vague d’inquiétude. C’est ce qui nous fait rejeter l’image et les émotions provoquées par cette rencontre. […] C’est aussi ce qui nous donne envie de posséder, de gouverner et d’administrer l’Autre. D’embellir cette personne, si nous le pouvons, en la renvoyant à nos propres miroirs. Dans un cas comme dans l’autre (d’inquiétude ou de fausse révérence), nous nions son statut de personne. (Toni Morrison, L’origine des autres,2017)

 Une injustice, où qu'elle se produise, est une menace pour la justice partout ailleurs. (Révérend Martin Luther King Jr., 1963)

En 1968, le révérend Martin Luther King se rendait à Memphis pour apporter son soutien aux éboueurs en grève. A cette occasion, il prononça un discours, affirmant que le problème de la discrimination raciale ne pourrait être réglé qu’en réduisant simultanément toutes les inégalités. Si le mouvement des droits civiques avait conduit à certaines avancées, il n’avait pas mis un terme à la ségrégation spatiale des plus pauvres et des minorités ethniques dans un environnement urbain de plus en plus insalubre. La notion de racisme environnemental est née de l’étude des impacts de cette double stigmatisation (Bullard, 1990, 2012 ; Keucheyan, 2014) : les projets urbains les plus polluants sont plus fréquemment concentrés dans les quartiers accueillant les populations pauvres et les minorités ethniques.

En 2005, l’ouragan Katrina a balayé les côtes de la Louisiane et détruit, en partie, la Nouvelle-Orléans ; les quartiers les plus endommagés étaient ceux dont la population était à plus de 90% africaine américaine (Lower Ninth Ward, St Bernard Parish). Henry Giroux, après le désastre, a consacré une étude à ce qu’il nomme the politics ofdisposability, en référence aux corps noirs qui jonchaient les rues et que les autorités ne prenaient pas la peine de ramasser(Giroux, 2007). Le film documentaire de Spike Lee, When the Levees Broke, réalisé en 2006, a permis de faire la lumière sur un désastre tant environnemental qu’humain, redonnant une dignité aux victimes par la voix des témoins. Au nord comme au sud, lorsqu’une catastrophe environnementale survient, les populations les plus durement et durablement touchées sont rarement les groupes sociaux dominants. 

Depuis le tournant néolibéral des années 1980, les populations socialement défavorisées et minorités ethniques sont les premières victimes de l’accroissement des inégalités (Piketty, 1997, 2013, 2019 ; Zucman, 2013 ; Saez et Zucman, 2019). Les accords de libre échange (Accord de Libre Échange États Unis-Canada, 1988 ; ALENA 1994) réduisent le champ d’action des États face au changement climatique, au moment précis où les enjeux environnementaux appellent au contraire à des régulations plus fortes des activités humaines (Klein, 2014). Au sud, qu’ils s’affichent « conservateurs » ou « progressistes », les gouvernements latino-américains n’ont guère remis en cause, la dynamique de l’« extractivisme » ; au contraire, celle-ci s’est vue renforcée par la forte demande en matières premières sur les marchés internationaux, conduisant à leur surexploitation et à la criminalisation des opposants, notamment indigènes. L’élection de Jair Bolsonaro au Brésil en 2019 consolide le modèle agro-industriel du développement du pays le plus grand et le plus peuplé d’Amérique du Sud, basé sur la déforestation, aux dépens des territoires des peuples autochtones. Plus généralement, au sud comme au nord du continent, les gouvernements dits « populistes », s’appuient sur un déni systématique du changement climatique et une minimisation des enjeux environnementaux qui fragilisent les populations les plus défavorisées. 

Au-delà de l’action des grandes organisations non-gouvernementales (Greenpeace, Amnesty International), on constate l’émergence d’un militantisme du peuple (grassroots) ou de nouvelles formes de désobéissance civile, parfois durement réprimée. Il semble désormais impossible de ne plus entendre ces voix qui s’opposent à l’extractivisme (Naomi Klein, 2014, 2017, 2019), au nord comme au sud du continent. La mobilisation des peuples indigènes en Equateur en 2013 refusant l’exploitation pétrolière de la Réserve Naturelle de Yasuní et celle en Bolivie en 2011 s’opposant à la construction d’une route qui traverserait le Territoire Indigène et Parc Naturel Isiboro Sécure (TIPNIS) pointent aussi les contradictions qui caractérisent les gouvernements associés au « Virage à gauche » du début du XXIe siècle en Amérique Latine (Lander, 2016 ; Dabène, 2012). 

 La notion de justice environnementale prend tout son sens lorsqu’elle n’est plus le récit romancé d’un état de nature à retrouver (l’environnementalisme selon Rousseau, Thoreau, Buir), ni l’expression d’une pensée critique qui s’est construite sur l’occultation des fondations coloniales, patriarcales et esclavagistes de la modernité (Ferdinand, 2019) mais lorsqu’au contraire elle prend en compte l’intersectionnalité de ces enjeux. Ainsi, au Canada, le mouvement Idle No More, créé par quatre femmes en 2012, en réaction au projet de loi 45 de l’administration Harper (gouvernement Conservateur), traduisait en actions non violentes leur refus de laisser les pouvoirs en place détruire leur territoire, leur santé, leur mode de vie en construisant des oléoducs acheminant le pétrole non-conventionnel des sables bitumineux de l’Alberta vers le Texas. Aujourd’hui, les activistes d’Idle No More pointent encore du doigt les fondements colonialistes de cette exploitation de leur territoire qui intente à la souveraineté des Premières Nations et viole ouvertement leurs droits, pourtant garantis par les traités qu’ils ont signés, il y a parfois plus d’un siècle. Aux États Unis, le mouvement né de la mobilisation contre la Dakota Access Pipeline à Standing Rock a apporté à la contestation sociale et environnementale davantage de visibilité internationale.

 Ces voix militantes et contestataires se font entendre dans la littérature et la production culturelle des Amériques, qu’il s’agisse de récits fictionnels ou non-fictionnels, de poésie, de théâtre, de photographie ou de peinture. Dans son essai intitulé The Fisherwoman, cité plus haut, Toni Morrison questionne le refus de voir l’Autre en soi (et l’inquiétante étrangeté qui en résulte) dont peuvent dériver deux formes de domination : par l’oppression (dépossession) ou par l’appropriation à travers l’idéalisation de l’Autre (color-blind racism : Bonilla-Silva, 2003 ; Wise 2010). La romancière, Prix Nobel de Littérature, n’a eu de cesse de dénoncer dans son œuvre les effets - sur les individus africains américains, et les espaces sociaux, géographiques et métaphoriques qu’ils occupent - de l’esclavage, de la ségrégation raciale et de la misogynie (on pense plus particulièrement à Sula(1973), Recitatif(1983),Beloved(1987), Paradise (1997), Love (2003), ou encore à son récit non-fictionnel Playing in the Dark (1992).En musique, le rap engagé de Drezus, porte-parole du mouvement Idle No More (Red Winter, 2011), ou encore celui de Frank Waln (Oil 4 Blood, 7) portent le combat de leurs communautés amérindiennes minées par l’extraction des ressources et la pollution de leurs terres, le non respect des traités signés par leurs ancêtres. Au cinéma, le film documentaire de la réalisatrice Ava Du Vernay, 13th(2014), ou encore BlackKklansman, de Spike Lee (2018), prennent le contrepied du récit officiel pour dénoncer les injustices et scandales de l’histoire : respectivement, l’incarcération de masse des hommes africains américains comme une nouvelle forme de Jim Crow (Alexander, 2012), et un projet d’attentat fomenté par la Section du Ku Klux Klan de l’état du Colorado dans les années 1970. Ces voix d’artistes qui œuvrent sans relâche pour que vérité soit faite, portent l’espoir d’une Amérique (du Nord et du Sud) plus juste, à la croisée des enjeux sociaux, raciaux et environnementaux. 

Une compréhension plus accomplie de ce croisement des sources diverses de domination sociale (appartenance sociale, raciale, identité sexuelle et de genre), la prise en compte de cette « intersectionnalité » (Crenshaw, 1987) apparaissent comme le grand enjeu de l’évolution des sociétés du continent américain vers une justice sociale et environnementale. L’intention fondatrice de ce colloque est donc de mettre en lumière les approches explorant les convergences possibles entre ces sources, à la fois en termes d’objets de recherche et de résonances disciplinaires (littérature, arts, sciences humaines et sociales, droit…). Dans une approche résolument interdisciplinaire, nous invitons plus particulièrement les communications s’intéressants aux objets de recherche suivants :

-      Le racisme environnemental

-      La question des réfugiés climatiques et des déplacés internes

-      L’écologie décoloniale

-      La diaspora africaine dans les Amériques

-      Les peuples autochtones dans les Amériques

-      L’écologie sociale et/ou politique

-      L’écoféminisme

-      Le militantisme intersectionnel (activisme environnemental, antiraciste, féministe, luttes sociales…)

-      La re-primarisation, le néo-extractivisme en Amérique latine, l’extractivisme en Amérique du Nord

-      La criminalisation de la protestation sociale 

BIBLIOGRAPHIE
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