Appel à proposition d'ateliers :

Responsables scientifiques :
Guillaume Marche (Université Paris-Est Créteil) et Sophie Vallas (Aix-Marseille Université)

La mobilité, une propension à être en mouvement, la capacité à aller de l’avant, à aller plus loin : voilà autant d’images en partie stéréotypées de l’Amérique auxquelles les Américains eux- mêmes ne dédaignent pas de s’identifier. Si le mouvement est au cœur de l’imaginaire – endoge¿ne comme exogène – de l’Amérique, l’enracinement est, en partie, le pendant d’une construction nationale fondée sur la migration et la colonisation. Invention d’un rapport intrinsèque – qu’il soit religieux ou naturel − au territoire, mythologie d’une « race » américaine découlant, par exemple, de l’expérience de la Frontière, l’enracinement apparaît comme une contrepartie, la construction a posteriori d’une fixité compensatoire.

Dans The Making of African America, Ira Berlin articule les notions de mouvement et d’enracinement (movement and place) pour rendre compte des paradoxes de l’histoire africaine américaine, marquée tant par l’expérience du déplacement – subi ou choisi – que par la revendication d’une appartenance au territoire. L’histoire collective des Africains Américains se rapproche donc en réalité, selon Berlin, de l’expérience migratoire qui est au cœur du récit national américain, autant qu’elle s’en distingue radicalement. Cette dialectique du mouvement et de l’enracinement invite à envisager la complémentarité entre les deux termes, Berlin montrant par exemple que l’histoire africaine américaine peut se concevoir comme un récit de l’enracinement qui occulte en partie le fait du déplacement et ce, dans des buts parfois contradictoires. Mouvement et enracinement dessinent donc un axe paradigmatique permettant de proposer des interprétations innovantes de faits historiques, sociaux ou politiques réputés connus. C’est à ce prisme que peut notamment se lire l’expérience des divers groupes ethnoraciaux composant la société des Etats-Unis, dont les origines sont migratoires ou diasporiques et qui ont dû faire racine sur le sol états-unien. Quel rôle, par exemple, les pratiques vernaculaires et les représentations de la culture populaire – du folklore à la télévision – jouent-elles dans ces processus ? La colonisation, expérience du mouvement s’il en est, donne elle aussi lieu à l’invention de rituels civiques instituant ou réifiant le sens d’une identité nationale située, territorialisée.

Si mouvement et enracinement sont deux processus tant contradictoires que complémentaires, ils s’opposent tous deux, par leur caractère dynamique, à la fixité. En effet, l’enracinement est lui aussi un processus, résultant souvent de motivations politiques. En termes politiques, justement, mouvements et mobilisations cherchent à faire obstacle à l’immobilisme et au conservatisme, mais on sait combien cette rhétorique est retorse, voire piégée, lorsque les discours politiquement conservateurs s’emparent de la logique du mouvement et du progrès pour stigmatiser l’archaïsme prétendu de leurs adversaires. Comment les mouvements sociaux progressistes s’efforcent-ils de contrecarrer cette accusation d’immobilisme ? Cela passe-t-il par l’enracinement dans un territoire (turf) ou aupre¿s d’un groupe d’appui (constituency) ? Ou doivent-ils plutôt remettre en question les formes mêmes de leur action collective, pour mettre par exemple l’accent sur les initiatives venant de la base (grassroots) de préférence à celles d’une hiérarchie institutionnelle ou d’une élite ? Le mouvement proprement dit est-il inhérent à une réinvention constante des formes de l’action, ou à la désignation d’objectifs et de destinations identifiables et atteignables ? Ces questions se posent avec une acuité particulière s’agissant des mouvements sociaux qui interrogent le genre, le sexe et la sexualité, tant est controversé leur degré de fixité biologique ou d’enracinement dans des pratiques incarnées – voire la possibilité d’en faire évoluer les contours.

Le champ littéraire et artistique n’a cessé, depuis la création des Etats-Unis, d’être invité à produire des œuvres novatrices et modernes, à la (dé)mesure d’un pays dont l’immensité et la virginité (supposée), mais aussi l’ambition révolutionnaire, exigeaient de l’audace dans le regard et dans la voix. Si la fiction (« fingere, fictum ») reprend « le geste du potier », fait « s’élever la sensualité de la glaise alentour d’un trou vide » (Chênetier), alors le geste créateur attendu de l’écrivain américain requêrait un mouvement magistral. L’appel, maintes fois réitéré, à faire naître des mouvements typiques est rapidement allé de pair avec le désir paradoxal de construire une tradition, d’enraciner des références littéraires et artistiques. Comment se crée, ou se reconnaît rétrospectivement, un mouvement, comment se construit ou déconstruit une tradition ou une « renaissance américaine » ? A contrario, depuis la deuxième moitié du XXe siècle, les arts plastiques américains se caractérisent par ce que le critique Harold Rosenberg a appelé « the tradition of the new », oxymore célèbre qui place le mouvement au cœur de l’enracinement d’une école picturale propre aux Etats-Unis. Et l’on pense aussi à la manière dont la circulation accrue des artistes et des œuvres picturales, dans le contexte de la globalisation, influe sur la construction des courants artistiques, voire sur le concept même d’œuvre d’art.

Thématiquement, bien sûr, la littérature américaine est traversée par la « grand-route » : comment cette littérature qui, d’emblée, « fait concurrence à la géographie » et affiche « dès le XIXe siècle une perception territoriale du langage », dont les écrivains prennent la route et le large et refusent « l’enfermement dans une fiction close » (Pétillon), représente-t-elle le mouvement spatial vers un ouest infini et son corollaire, l’installation et l’enracinement ? Et à quel point cette oscillation entre le wilderness et l’enclos, la dérive et l’enracinement, affecte-t- elle le sujet américain, ce je « partout et nulle part » (Whitman) qui a renoncé à¿ ses racines européennes, a fait table rase de sa mémoire et doit trouver ses nouvelles coordonnées dans une prairie infinie ? C’est l’identité même qui est alors mouvante, instable et portée à l’écriture de sa propre fiction. La littérature américaine accueille ainsi ceux qui, nés sur une frontière, une route, un fleuve ou un océan, dérivent en évitant tout point d’ancrage. Au cœur du cœur du pays, est-il d’ailleurs davantage possible de prendre racine quand la géographie est facilement mythologique ou magique ? Quant à¿ la grande ville, le quadrillage systématique du territoire (grid) a-t-il jamais réussi à figer l’espace malgré les fondations de pierre, à empêcher les Bartleby de rêver auprès d’un paravent vert ? Quelle cartographie (mapping) inventer pour un pays dont la frontière même est une ouverture vers un ouest infini ?

Dans quels mouvements du langage, dans quels plis et replis de la voix, au cœur de quels espaces littéraires, référentiels ou imaginaires, le texte se construit-il, se niche-t-il, s’échappe-t- il ? L’écriture peut être souffle, mouvement vers le dehors, vers l’autre texte, échange, traduction, posant ainsi des questions d’original et de copie, de texte premier et de texte second, d’hypo/hyper/inter/textualité, de seuils... Le mouvement peut également être centripète et l’écriture repliée sur elle-même, autoréflexive et échappant, en apparence tout du moins, au monde extérieur. De quels mouvements (au sens musical ou chorégraphique du terme, également) une œuvre littéraire se structure-t-elle ? Comment « l’écriture rhapsodique » américaine (Pétillon) se laisse-t-elle organiser en chapitres, en feuilles d’herbe, en rouleaux d’asphalte, et de quelle ponctuation accepte-t-elle les règles pour laisser ses mots s’enraciner sur la page ? Dans les arts visuels, enfin, le mouvement et la fixité  évoquent notamment la différence entre l’image en mouvement de l’écriture cinématographique et la fixité  de la photographie. Mais cette fixité  est elle-même un résultat et non une origine, le fruit d’un positionnement, d’un cadrage. De même, le vocabulaire, la syntaxe cinématographique, reposent en partie sur la confrontation entre mouvements de caméra et fixité  de certains plans. La tension complémentaire entre mouvement et enracinement, et la manière dont ces deux termes s’opposent à la fixité, conduisent donc aussi à s’interroger sur le medium même de l’expression tant littéraire qu’artistique.

Les propositions d’atelier (civilisation, sciences sociales, littérature et arts) sont à envoyer aux deux coordinateurs Guillaume Marche et Sophie Vallas, conjointement, avant le 20 octobre 2014.

http://www.afea.fr/Congres-2015-appel-a-proposition-d.html

 

 

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