Observer les touristes pour mieux comprendre les tourismes
Observer les touristes est un sujet d’intérêt croissant pour les scientifiques et le monde professionnel ou organisationnel du tourisme. Le développement récent d’un certain nombre d’observatoires pilotés par des scientifiques ou des institutionnels en témoigne. Néanmoins, chaque discipline scientifique ou chaque acteur d’observation professionnel ou institutionnel peut se positionner différemment par rapport à l’observation en termes d’objets, d’indicateurs, d’échelles, etc. Ce colloque sera donc l’occasion de décrypter ces différences et de montrer les ponts ou passerelles entre chaque acteur. En effet, l’observation des touristes met en évidence un intérêt pluridisciplinaire sur l’observation scientifique mais pose aussi la question d’une approche interdisciplinaire où méthodes et paradigmes peuvent se compléter pour observer les touristes pour mieux comprendre les tourismes.
Les communications des différentes disciplines (sciences de gestion, économie, informatique, droit, géographie, aménagement, histoire, sociologie, anthropologie, architecture, lettres, langues, etc.) devront s’intégrer dans l’une des thématiques suivantes :
Observer les touristes pose la question de « qui est touriste » et donc de leur identification et de leur catégorisation. Comment définit-on le touriste ? Par les lieux qu’il fréquente ? Par ses pratiques ? Par son statut dans le lieu (en fonction du mode d’hébergement ou son introduction dans le lieu) ? La réponse n’est pas simple. Est-ce par un seul critère ou par une combinaison de critères que l’on peut distinguer les touristes ?
Il existe en outre des catégories hybrides ou flottantes : résidents secondaires, plaisanciers, excursionnistes, etc. De plus, dans l’analyse de la fréquentation touristique d’un lieu, il est souvent difficile de distinguer les touristes stricto sensu des excursionnistes ou des habitants permanents. De plus, les liens entre ces différentes catégories d’usagers du lieu touristique peuvent être intéressants à décrypter (ex : les touristes hébergés chez l’habitant) tout comme l’observation des trajectoires d’un même individu dans un lieu touristique (ancien touriste devenu résident secondaire, résident secondaire devenant progressivement résident permanent...)
Il existe de nombreux acteurs de l’observation aux statuts, compétences, rayons d’action, financements très différents : scientifiques, institutionnels du tourisme, organismes statistiques, bureaux d’étude, instituts de sondage, collectivités territoriales, entreprises ou professionnels du tourisme. Les communications pourront ainsi s’interroger sur les stratégies et interrelations entre ces différents acteurs, montrant ainsi que l’acte d’observer n’est jamais neutre.
Existe-t-il des relations entre les acteurs d’observation : mutualisation, redondance, concurrence, complémentarité, etc. ? Dans quelle mesure ces relations influencent-elles les méthodes d’observation ?
Dans un contexte de plus en plus concurrentiel, il semble que l’acte d’observation devienne de plus en plus institutionnalisé à travers la création d’observatoires à différentes échelles.
Les observatoires regroupant des acteurs issus d’horizons différents sont-ils un gage d’efficacité ou de complexification de l’observation ? Comment gère-t-on la diversité des stratégies et des centres d’intérêt des différents acteurs ?
Les objectifs liés à l’observation peuvent être extrêmement divers. Dans un contexte concurrentiel entre territoires touristiques mais aussi entre types de pratiques au sein de ces territoires, les communications devront s’interroger sur l’observation comme outil pour :
- améliorer la quantification de la fréquentation dans le temps et dans l’espace ;
- identifier des nouvelles pratiques touristiques ;
- questionner des « idées reçues » sur le tourisme : méfaits du tourisme de masse, résidences secondaires = volets fermés, campings-caristes = touristes de seconde zone, etc. ;
- appréhender les rapports des touristes aux lieux, sociétés d’accueil, organisations touristiques (institutionnels et prestataires), leurs perceptions et leur niveau de satisfaction ;
- mesurer les effets des différentes catégories de touristes sur le développement économique (économie résidentielle entre autres) ;
- mieux gérer les territoires et les organisations, favoriser la valorisation des patrimoines, une mise en marché des territoires et des pratiques touristiques plus efficaces ;
- orienter les politiques d’aménagement et la conception architecturale des lieux touristiques en connaissant mieux les comportements des touristes dans l’espace ;
- dresser un « profilage » des touristes pour mieux comprendre leurs pratiques et dresser des segmentations des touristes afin de mieux cibler l’offre touristique et faire évoluer voire renouveler l’offre touristique à destination des cibles identifiées ;
- mener une politique de qualité centrée sur les attentes, perceptions et niveaux de satisfaction des touristes.
L’appropriation des TIC par les acteurs, qu’il s’agisse des touristes ou des offreurs (prestataires, territoires, hébergeurs…) amène les techniques et protocoles d’observation à évoluer avec les pratiques relatives au e-tourisme et désormais au m-tourisme, puisque l’usage d’internet devient nomade.
L’observation des activités du tourisme, des touristes et de leurs impacts est un enjeu d’innovation technologique fort. L’apport des TIC dans ce contexte porte principalement sur trois niveaux :
- la capture d’informations liées aux activités du tourisme,
- les protocoles méthodologiques et l’analyse des données liées à l’observation,
- et l’aide à la visualisation et les nouveaux usages liés au nomadisme.
L’ensemble de ces évolutions technologiques mène actuellement à une autonomisation des touristes dans leurs pratiques (Internet, réseaux sociaux, etc.), et une évolution des métiers du tourisme. Le développement des blogs de voyageurs, de sites notant les destinations et les organisations touristiques, les opportunités d’annotations collectives simples et ergonomiques offertes par les dispositifs nomades sur les réseaux sociaux mettent non seulement le touriste dans une situation d’observation des touristes et du système touristique, et transforment le touriste en un acteur informationnel actif, un co-créateur de l’offre et de l’expérience touristique. Les offices de tourisme ou autres acteurs privés adaptent également leurs activités à l’apparition de ces nouvelles technologies pour proposer des services de plus en plus personnalisés et profilés qui viennent compléter et « humaniser » ces services numériques.
Les communications pourront donc s’interroger sur la manière dont on peut scientifiquement exploiter ces nouvelles sources de données et plus globalement sur le rôle accru d’internet dans une démarche d’observation et de compréhension :
- analyse des stratégies et des démarches de réservation des touristes sur Internet (offre marchande, « désintermédiation », etc.) ;
- analyse des motivations et de la satisfaction des touristes comme moyen de mieux identifier les sources d’innovation dans la conception de l’offre touristique ;
- analyse du rôle des récits de voyages (littérature, blogs, commentaires de voyage, etc.) dans la mise en désir des lieux et la construction des imaginaires touristiques ;
- analyse de la fréquentation et de la satisfaction des touristes comme facteur de construction et d’évolution des lieux et organisations touristiques ;
- analyse de la fréquentation et de la satisfaction des touristes comme facteur de patrimonialisation des lieux ;
- analyse des parcours touristiques grâce aux nouvelles formes d’observations et d’analyse du comportement des touristes via l’utilisation de dispositifs mobiles (GPS, smartphones, tablettes) ;
- analyse automatique des comportements et des avis postés sur les blogs, forums et réseaux sociaux ;
- croisement de sources d’informations touristiques hétérogènes (textes, GPS, photos, …), pluriculturelles et pluriethniques ;
- l’analyse de la fiabilité des informations trouvées sur le web et de l’objectivité des commentaires déposés par les touristes.
Elles pourront également porter sur l’utilisation des nouvelles technologies pour rapprocher les créateurs, les diffuseurs et les consommateurs de contenus touristiques et ainsi s’adapter pour mieux correspondre aux attentes du tourisme :
- analyse de l’évolution des outils et des normes pour stocker et échanger des informations touristiques
- outils collaboratifs pour partager et créer des contenus personnalisés et contextualisés
- nouvelles normes de production et de transformation des données intégrant les nouvelles modalités du tourisme (texte, parole, géolocalisation, …)
- nouvelles interfaces de communication actives ou passives avec les utilisateurs (smartphones, capteurs haptiques, agents conversationnels animés, …)
- analyser les corpus de données hétérogènes pour la production d’indicateurs de gouvernance pour les décideurs politiques.
L’analyse des mobilités est notamment en SHS un enjeu méthodologique (modalités de collecte et de croisement de données, fiabilités des données statistiques, etc.). Qu’en est-il dans les autres disciplines ? Celles-ci partagent-elles les mêmes interrogations sur :
- la délimitation du champ d’observation et l’articulation entre des observations faites à différentes échelles ? Observation à l’échelle de sites, de destinations, de régions, de pays.
- la dimension diachronique de l’observation : comment l’analyse du passé éclaire-t-elle l’observation du présent, comment mener une observation en continu à partir d’indicateurs de suivi, comment l’observation du présent permet-elle de réaliser une démarche prospective ?
- la dimension synchronique de l’observation : comment comparer les territoires où les méthodes d’observation peuvent être différentes, comment faire en sorte qu’une méthode d’observation dans un lieu soit reproductible ailleurs ?
- les techniques ou les outils d’observation : la diversité et le poids des techniques (observation participante, enquêtes, entretiens, capture passive d’informations hétérogènes ou récupération des informations que partagent les touristes sur les réseaux sociaux et forums, etc.) dans la compréhension des tourismes, la complémentarité des méthodes quantitatives et qualitatives, etc.
- la fiabilité des sources et la représentativité de la population touristique observée
Les communications pourront aborder :
- la question du transfert de résultats entre le monde de la science et le monde du tourisme.
Comment les théories et modèles produits par les scientifiques sont-ils exploitables par les institutionnels et les professionnels ? Et inversement, comment les scientifiques utilisent-ils la littérature grise dans leurs travaux ?
- la construction d’indicateurs : comment construire des indicateurs à destination des acteurs institutionnels, scientifiques et professionnels, de la société civile ou du grand public aux attentes et aux grilles de lecture parfois différentes ? Faut-il utiliser des approches classiques ou au contraire peut-on envisager la construction d’indicateurs à partir des informations extraites automatiquement sur le web ?
- le développement de la démocratie participative, des sciences participatives et l’observation : comment faire participer et mobiliser le touriste pour optimiser l’observation et comment le grand public (touriste ou non) s’empare-t-il des études scientifiques et institutionnelles ?
Le colloque pourra être l’occasion de s’interroger sur les thématiques suivantes :
- Confidentialité et réglementation concernant l’observation.
- conflits d’usages entre touristes et autres usagers, zonage et règlementation
- l’observation comme outil de production de textes législatifs ou règlementaires : Comment le législateur prend-t-il en compte les pratiques et attentes des touristes et des professionnels en s’appuyant sur des dispositifs d’observation ? Quels sont les effets sur les politiques publiques ?
- l’articulation des différents niveaux de politiques publiques avec l’action privée concernant l’observation des touristes: OT, CDT, CRT…les acteurs institutionnels sont nombreux en France, et la question de leur cohérence et de leur pertinence au regard de l’évolution des marchés touristiques est posée. De même que la question de l’équilibre entre les attentes des acteurs privés et les exigences d’un développement territorial harmonieux et profitable à tous.
- l’instrumentalisation de l’observation par le politique : l’observation des touristes est-il un enjeu politique fort ? En quoi l’observation des touristes peut-elle participer à la construction d’indicateurs géopolitiques de la puissance des états et des effets des stratégies d'appropriation compétitive des lieux ?